Le « vinaigre » balsamique, la belle controverse
C’est certain, vous avez du vinaigre balsamique dans votre placard. Qui n’en a pas? Avec une idée assez précise en termes de goût : à la fois acidulé et un peu sucré, quelques fois limite liquoreux. Raté.
C’est bien connu : les plus belles dérives – arnaques devrais-je dire – autour du terroir et de la tradition naissent avec l’amorce d’un enjeu économique. J’explique :
Il y a vinaigre et vinaigre. « Balsamico » vient de baume. Tout est dit. Un baume comme un médicament, la douceur italienne, un nectar, une caresse sur vos tomates mozza. Sauf que le balsamique que vous pensez acheter au supermarché du coin n’a rien à voir avec ce « baume ». Le balsamique, le vrai, n’est pas un vinaigre à proprement parler puisqu’il n’y a pas eu de fermentation du vin. Nous y voilà.
Le balsamique s’obtient par la réduction de moût de raisin, cuit à feu nu, puis mis à vieillir dans 7 tonneaux en bois successifs et différents, un par an et de plus en plus petits. Vous imaginez bien qu’étant donné ce laps de temps, le balsamique authentique peut être considéré comme un produit de luxe, au même titre que le Bellota (jambon ibérique), affiné longuement.
Le gros problème du balsamique c’est qu’il n’a pas été assez protégé par la législation. Effectivement, la seule exigence réglementaire selon l’IGP, est que l’élixir provienne exclusivement des provinces de Modène et de Reggio Emilia, en Italie du nord. A part ça, aucune appellation susceptible de protéger réellement la recette ancestrale de Modène. N’importe qui peut fabriquer du balsamique, vinaigre ou pas. Et donc n’importe qui = n’importe quoi. Les industriels ont senti le filon en inventant un vinaigre aigre-doux. Leur propre recette, très éloignée la recette originelle, même en bio. L’engouement fut mondial, surfant sur la vague des produits italiens tendance « mode et chic ». La mozza a déjà été massacrée à coup de lait de vache en poudre du Danemark. Le faux balsamique, lui, ni vu ni connu, a tracé son chemin dans notre pays et partout dans le monde. La classe à l’italienne.
Dans les rayons des supermarchés, cela nous donne une abondance de vinaigres trafiqués au faux caramel E150D douteux (j’en parle ici) et agrémentés d’une petite touche de conservateurs. Quand la chimie tente de remplacer les années. Ne rêvons pas : le pire côtoie plus souvent le meilleur. Et à tous les prix.
La question que je me pose : un produit de terroir peut-il se démocratiser en gardant son identité ? A trop vouloir diminuer les coûts pour permettre la consommation du plus grand nombre, on arrive à une alimentation à 2 vitesses : la haute qualité pour l’élite, l’ersatz pour la « populasse ». C’est ce qui est arrivé au foie gras bulgare dopé aux antibiotiques, au saumon norvégien aux dioxines, au jambon Serrano aux hormones et j’en passe.
Comment reconnaît-on un balsamique, « or noir de Modène » ?
Pour information, un consortium de producteurs fut créé en 1979 pour mieux encadrer ce qui se vend sous le terme d’« aceto balsamico di Modena », et garantir ainsi la protection de ses arômes uniques.
Le balsamique, c’est une recette ancestrale jalousement conservée qui remonte au 11ème siècle. Les fûts transmis de générations en générations dans les familles, servaient de dots pour un mariage. Un produit de société en somme. Voici ses principales caractéristiques :
- On l’a dit, il doit venir exclusivement de Modène et Reggio Emilia (Emilie-Romagne) dont le climat est particulier (hiver froid pendant lequel le liquide se concentre et été très chaud pendant lequel le liquide va perdre de son volume)
- Les cépages de raisin utilisés sont principalement le blanc le Trebbiano (70%) et le rouge de Lambrusco (30%).
- L’ingrédient : le moût de raisin et c’est tout. Pas de vin, pas de caramel, pas de sucre quelconque.
- Il n’a subi aucune fermentation alcoolique, il n’y a pas de vinification classique.
- Son acidité est de 6°
- Plus un balsamique est vieux, meilleur il est (et plus onéreux il sera). En vieillissant, son acidité diminue.
- Ses phases de fabrication : pressurage des raisins, cuisson du jus de raisin à feu doux pendant 70 heures, puis vieillissement en fûts de bois (4 ans minimum, 7 ans pour le véritable balsamique) puis affinage (aucune limite d’âge). Tout le long du processus, la fermentation est soigneusement évitée.
- Son prix : à 4 ans de maturité, on peut trouver des balsamiques entre 10 et 12 euros le litre. Mais vieilli 25 ans, la bouteille peut atteindre 1000€ le litre …
Le Modène se décline selon 3 catégories :
- Le graal, le noble, le nectar : le « Traditionnel » (ou DOP = AOP en français) sous l’appellation « Aceto Balsamico Tradizionale di Modena » : composé uniquement de moût de raisins très mûrs. C’est le consortium qui est à l’origine de cette gamme. Les producteurs de ce balsamique doivent respecter un certain degré d’acidité et de densité, obtenu par des méthodes ancestrales et manuelles. L’affinage se fait dans des fûts de différents types tels le genévrier, le châtaigner ou le cerisier…, après lequel les arômes se concentrent sans ajout de substances aromatiques justement. On les reconnait à leurs 2 petits flacons de 10 cl bien spécifiques : un flacon à collerette rouge pour un affinage d’un minimum de 12 ans et un flacon à collerette or pour un affinage d’un minimum de 25 ans (« extra vecchio »). N’espérez pas dégotter cette merveille dans un supermarché … La bouteille de 100 ml se vend plus de 100€. Autant dire que je n’ai jamais eu la chance d’y goûter.
- Moins noble mais un produit de grande qualité : le « Condiment » constitué à 100% de moût de raisin ; il est affiné 4 ans minimum et sans limite d’âge.
- Bien plus abordable mais c’est là que le bât blesse, la version standard de la (trop) simple IGP : l’ « Aceto » qui contient du moût de raisin (à hauteur de 20% minimum) plus du vinaigre de vin. L’affinage dure entre 4 ans (le minimum) et 15 ans. C’est ce « balsamique » – qui n’en est pas un puisqu’il contient du vinaigre – que l’on va retrouver dans le commerce. Il faut savoir que l’IGP autorise l’ajout de caramel, chimique la plupart du temps. Pour ma part, je me tourne vers les versions « bio » qui ne contiennent pas de caramel ni de conservateurs.
Sa meilleure utilisation
Comme tout produit noble, le « tradizionale » se déguste simplement… seul, à la petite cuillère.
Pour les autres, le plus simple sera avec de l’huile d’olive, une bonne huile de producteur cela va de soi, on ne va pas gâcher le nectar … sans sel, poivre ni moutarde. Pour les gourmets, essayez avec les merveilles du terroir italien comme le jambon de Parme, le Parmigiano, la mozzarella di buffala. Mais aussi avec du melon, des fraises, une glace fermière à la vanille…
Mais gardons à l’esprit qu’un bon vinaigre de vin, souvent moins cher qu’un piteux balsamique pas vieilli, sera meilleur pour la salade.
Voilà comment un produit rare destiné à magnifier la cuisine paysanne s’est retrouvé dans les rayons des supermarchés mondiaux sous le nom « vinaigre », par un processus consumériste bien marketé basé sur la confusion. Les grandes multinationales telles Unilever s’en réjouissent. Pour le gourmet soucieux de l’authenticité, l’affaire a déjà tourné au vinaigre.
Pour en savoir plus
http://www.consorziobalsamico.it
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